La gardienne de mémoire et le conteur
-CHRONIQUE D'UNE CONTEUSE-
Toujours est-il que, tandis que je me racontais cette histoire dans le creux de l’oreille interne, j’ai été enchantée de voir que je m’en souvenais entièrement. Elle prenait certes quelques nouvelles teintes car j’y allais de mémoire… et c’est justement cette confiance en ma mémoire qui m’a enchanté….
Car voyez-vous, je viens d’un père conteur et d’une mère gardienne de la mémoire. Lui, toute sa vie il a raconté des histoires dans les géants partys de famille (Imaginez ça : 13 frères et sœurs, pour la plupart mariés, avec leur progéniture, soit ma génération, convenez-en que ça fait des gros partys!). Souvent, les histoires de mon père étaient en fait des blagues avec des chutes terriblement drôles. Des blagues qui sous l’influence de son talent prenaient des airs de contes. Il étirait la sauce sur un temps rare (comme on dit) et c’était toujours merveilleux de le voir et de l’entendre. Jamais il ne manquait de faire rire son auditoire. Et ça, c’est toujours un bonus jubilant pour un conteur, on en conviendra. J’entends d’ailleurs les rires retentissants de mes tantes au moment de la résurgence de ce souvenir. Seul petit hic, mon père avait une mémoire trouée. Heureusement, il a toujours eu ma mère à ses côtés. Elle, en bonne gardienne de la mémoire, tenait avec brio le fil des histoires. Une mémoire comme la sienne, ça tient du phénomène (elle ferait d’ailleurs bonne compétition à Paul Houde). Mon père contait et elle soufflait au besoin, ce qui ne manquait pas d’ajouter du comique à l’ensemble de l’œuvre
Ma mère et mon père formaient une chouette équipe. J’en parle au passé même s’ils sont toujours bien vivants et ensemble, amoureux plus que jamais… simplement, mon père conte moins qu’il ne contait. Est-ce parce que les partys d’envergure se font plus rares? Il a peut-être cessé de conter et de chanter, mais certainement pas de s’amuser à déclencher des rires par sa présence d’entertainer-né
On dit que l’enfant hérite des dons de ses parents et qu’ainsi, en observant la passion de chacun, il trouvera sa propre voie. Dans cette logique, on peut dire que je porte en moi l’esprit du conte et son essence –la mémoire– pour bien garder tout ça vivant. Je n’aurais donc pas besoin qu’on tienne pour moi le fil de l’histoire… et pourtant. J’ai longtemps souffert d’un manque de confiance, lequel m’empêchait de croire en la possibilité de raconter sans filet. Côté théâtre, autre forme d’art qui nécessite une bonne mémoire, mon plaisir a toujours été aussi grand durant les trous de mémoire que lorsque le texte filait bien. J’aimais les blancs au théâtre parce qu’ils nous donnaient l’occasion d’être encore plus vivants sur scène. J’aimais aussi voir la tronche effrayée de certains autres comédiens lorsque leur mémoire défaillait, et venir les « sauver » en improvisant à partir de ce que le GRAND MOMENT PRÉSENT nous offrait de magie. Je me demande alors pourquoi, avec le conte, je n’ai pas eu d’emblée ce rapport jouissif au blanc ?…
Je soupçonne que la petite fille-éponge que j’étais, émerveillée et fière d’écouter son père raconter, avait non seulement absorbé le plaisir du conte, mais aussi avalé quelques trous de mémoire du paternel au passage.
Maintenant que j’en prends conscience, on dirait que je recouvre plus naturellement le don maternel de gardienne de la mémoire. Grand bien jubilatoire m’en fasse !
Sur ce, au boulot ma Caroline ! J’ai de belles activités de conte au programme de l’automne. Cela ne se prépare évidemment pas 2 jours à l’avance. J’y suis d’ailleurs depuis plusieurs semaines et c’est un grand bonheur à vivre : 100 fois sur le métier, remettre mon ouvrage joyeux !